Israélienne, Marocaine, universelle

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ChroniqueHommage à la magnifique Ronit Elkabetz qui vient de quitter le monde à l’âge de 51 ans!

Le 23/04/2016 à 17h10

Fermons les yeux et projetons-nous dans un village israélien perdu dans le Néguev! Un jour, ce village voit un OVNI débarquer: une troupe de policiers-musiciens égyptiens, qui échouent par accident dans cet endroit assez désolé. Les musiciens sont venus jouer pour un centre culturel arabe et ils se sont perdus en route pour se retrouver bloqués, là, dans ce no man’s land a priori hostile.

D’un côté, nous avons une troupe de policiers-musiciens arabes. De l’autre, un village israélien qui observe. Des deux côtés, personne ne comprend ce qui arrive. Et personne n’a d’autre choix que d’apprendre à cohabiter, en attendant une «solution finale». Et le temps passe…

Comme une cerise sur le gâteau, voilà qu’en plus de tout ce désordre, la tenancière du bistrot du village semble s’amouracher du chef d’orchestre arabe. Il n’est pas insensible, non plus. Elle fait quelques pas vers lui avant de reculer. Il l’imite, à avancer et reculer sans fin. Et l’histoire se termine ainsi, sur ces hésitations et ces frustrations. Et sur ce rapprochement impossible…

Vous l’avez sans doute deviné. C’était là le pitch de «La Visite de la fanfare» (2007). Entre la comédie loufoque et le drame intime, ce film lumineux en dit long, bien sûr, sur les rapports entre juifs et arabes, si proches et si loin à la fois. Un différend et un conflit millénaires portés, tout simplement, par les yeux d’un homme et d’une femme qui peuvent s’aimer, mais n’arrivent qu’à se regarder sans dire un mot.

Dans le rôle principal, celui de la tenancière du bistrot, une femme et une actrice splendide: Ronit Elkabetz qui vient de quitter ce monde il y a quelques jours.

Dans «Prendre femme» (2004), qu’elle a elle-même réalisé, Ronit va plus loin avec un portrait de femme révoltée, lassée d’un mariage sans relief. Nous ne sommes plus dans le conflit juifs-arabes, mais dans celui de la tradition et de la modernité à l’intérieur d’une famille juive d’origine marocaine. Ce film nous touche plus spécialement parce les dialogues mélangent l’hébreu… à la darija marocaine. Oui, notre belle darija. Ronit a des racines marocaines (Essaouira) et «Prendre femme» est inspiré de la propre histoire de sa mère et de ses origines marocaines qu’il est impossible de couper.

Dernière escale : «Le procès de Viviane Amsalem» (2014), la deuxième réalisation de Ronit. Nouvelle et dernière exploration du poids de la tradition et de la religion, avec une femme qui veut absolument divorcer et un homme qui refuse obstinément. L’un comme l’autre tiennent à en passer par les lois de la tradition pour arriver à leurs fins. Mais l’un et l’autre se retrouvent face à un mur infranchissable.

J’ai choisi ces trois rôles pour résumer la puissance, mais aussi le désespoir qui pouvaient transparaître du parcours et de la vie de cette grande artiste qu’est Ronit Elkabetz. Un physique de Maria Callas et une âme de combattante! Une grande artiste juive, israélienne, marocaine, universelle!

Par Karim Boukhari
Le 23/04/2016 à 17h10