Pour Ashraf Fayad

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueCe lundi soir des poètes se réunissent à Paris au sein du «Printemps des poètes» pour apporter leur soutien à Ashraf Fayad, un poète palestinien vivant en Arabie Saoudite. Le 17 novembre un tribunal saoudien l’a condamné à mort pour apostasie. Il a 37 ans.

Le 14/12/2015 à 12h00

Ce lundi soir des poètes se réunissent à Paris au sein du «Printemps des poètes» pour apporter leur soutien à Ashraf Fayad, un poète palestinien vivant en Arabie Saoudite.Le 17 novembre un tribunal saoudien l’a condamné à mort pour apostasie. Il a 37 ans. Sa poésie ne serait pas du goût de la charia wahhabite. Il est vrai que dans ce pays il n’est pas bon d’être un artiste, un créateur, encore moins un poète, car la poésie ne peut que déranger, susciter le doute voire la rébellion.

Je doute malheureusement que le fait que des poètes et non des moindres comme Adonis expriment leur solidarité à Ashraf Fayad, que des ligues de droits de l’homme protestent et demandent aux autorités des pays démocratiques de tout faire pour sauver la tête d’un homme dont le seul crime est d’écrire et d’imaginer, je doute que cela dérange ou fasse réfléchir des tribunaux qui fonctionnent selon des règles et des lois obéissant à une charia pure et dure et surtout anachronique.

Je ne connaissais pas Ashraf Fayad. Je ne l’ai jamais lu. Mais cette sentence nous renseigne sur sa poésie, sur sa force, sur sa violence. Il est condamné parce qu’il «répandrait l’athéisme» et parce que ce qu’il écrit est blasphématoire. Il avait déjà été condamné à 4 ans de prison et à 800 coups de fouet. En fait, il aurait été puni parce qu’il aurait publié une vidéo où on voit une autorité saoudienne flageller un citoyen. Mauvaise image pour un pays qui veut jouer dans la cour des grands de ce monde !Il se défend et affirme que cette accusation n’est pas fondée : «Je n’ai rien fait pour mériter la mort. Ils m’accusent d’athéisme et de répandre des idées destructrices de la société».

Les poètes sont des insurgés, porteurs de feu, compagnons de la vérité et de l’évidence. Ils sont la lumière qui éteint les ténèbres et donne les mots aux choses qui meurent de ne pas être dites. Ils sont fragiles et forts à la fois. Ils ne possèdent que leur souffle et leur âme qui résistent. On peut les frapper, les fouetter, les jeter au fond d’un puits, les enterrer vivants, leur voix continue de s’élever et réveille le monde.

Les tribunaux les détestent. Les Etats les craignent. L’ordre les poursuit et les persécute. Les religions s’en méfient et les dénoncent. Mais ce sont les poètes qui donnent à la terre son sel, son grain de folie, sa musique et ses songes. La poésie ne peut être que fulgurance, clarté, doute et «intranquillité». Elle a un pacte avec l’éternité. On se souvient des poètes, jamais de leurs juges. Al Hallaj, grand poète soufi a été exécuté en 910 à Bagdad pour son amour excessif de Dieu. Mais sa poésie est encore sur les lèvres de toutes les générations.

La poésie ne rendra pas les armes, les mots et les images qu’elle invente. On ne peut la fusiller. Comme la liberté, comme les valeurs qui fondent une civilisation, on ne peut les éradiquer en tranchant la tête d’un homme parce que sa parole ne plaît pas aux puissants qui sont au fond des gens sans conscience, sans humanité.

Si Ashraf Fayad est exécuté, si l’Arabie Saoudite applique cette sentence malgré les protestations dans le monde, ce sera un crime contre l’humanité. Cet Etat devra un jour ou l’autre répondre devant la justice internationale de ce crime.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 14/12/2015 à 12h00