Casa-Dakar et même pas mort…

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ChroniqueAu-delà de la question tellement stupide des goûts et des couleurs, je suis persuadé que le Sénégal est beaucoup plus proche de nous et de notre fameuse spécificité que beaucoup de nos amis du Nord, et qui, soit dit en passant, ne sont pas trop nos amis ces temps-ci.

Le 31/05/2016 à 10h59

Si vous croyez que la vie d’un chroniqueur est plutôt aisée, voire plutôt pénarde, vous vous trompez sur toute la ligne. Sur toutes les lignes, devrais-je dire. Eh oui, car c’est au niveau de ces lignes qu’il faut écrire toujours, et parfois tous les jours, que le bât blesse et que la mule est irritée. Et à propos de mule, si je m’entête parfois à essayer de prouver que le métier de billettiste est presque aussi dangereux que celui de trapéziste, c’est parce ce qu’il nous arrive souvent d’être obligés de faire des sauts périlleux pour parler de certaines choses, ou plutôt, pour ne pas en parler. Les sujets qui fâchent, quoi ! Appelez ça de la lâcheté ou ce que vous voulez, mais il y a des fois où je zappe. Oui, je zappe ce que tout le monde traite. Pourquoi on va tous raconter la même chose?

En tout cas, pour cette chronique-ci, moi je vais jouer sur du velours: je ne suis pas au bled, et, par conséquent, je ne suis pas obligé d’en parler. Je vais faire comme si je ne suis au courant de rien. Donc, là, disais-je, je suis ailleurs, et le ailleurs où je suis m’offre mille et un sujets et qui ne risquent pas, du moins je l’espère, trop me compromettre. Bien sûr, vu le titre, vous avez sûrement déjà deviné où je me trouve présentement. En effet je suis bien à Dakar, et j’y suis même très bien. Vous savez, le Sénégal est un pays qui n’est pas, au fond, très loin de nous. Au-delà de la question tellement stupide des goûts et des couleurs, je suis persuadé que ce pays est beaucoup plus proche de nous et de notre fameuse spécificité que beaucoup de nos amis du Nord, et qui, soit dit en passant, ne sont pas trop nos amis ces temps-ci.

Tout cela pour dire que je trouve les Sénégalais, eux, très sympas, très ouverts, et même, croyez-moi, très modernes. Je ne vais pas faire dans l’anthropologie à deux sous, mais plus je regarde les Sénégalais, et aussi, les Sénégalaises – pourquoi vais-je me priver ? – et plus je me dis que ceux qui ont dessiné les frontières en Afrique, sont de sacrés margoulins pour ne pas dire plus. D’ailleurs, il suffit de traverser ces frontières qui sont parfois assez virtuelles pour croire définitivement à la bêtise humaine. Entre, par exemple, un Mauritanien du Sud et un Sénégalais du Nord, un Sénégalais du centre et un Gambien du Nord ou même du Sud, un Mauritanien de l’Est ou un Guinéen du Nord-Est ou un Malien du Nord-Ouest, bref, entre tout ce monde-là, la différence n’est pas minime, elle est souvent carrément inexistante. Quelles saloperies, ces frontières !

Revenons maintenant à mes amis sénégalais et mes amies sénégalaises dont je suis actuellement l’heureux invité. Je me sens tellement proche d’eux et proche d’elles que j’ai envie de changer de… couleur. Ah ! Vous avez cru que j’allais dire «changer de pays», n’est-ce-pas? Ce n’est pas que je n’y ai pas pensé, c’est juste que ça ne changera rien, car je me sens aussi bien là-bas, là-haut si vous préférez, qu’ici. Et la sécurité? Mais quelle sécurité? Je vous assure que je n’ai pas plus peur en me baladant seul, tard, la nuit, au bord de la plage du virage à Dakar que sur la Corniche de Casablanca ou de Cabo Negro.

Je ne vous dis pas le nombre de copains qui m’ont téléphoné ou envoyé des messages en me suppliant de faire «très attention» et «de ne pas prendre trop de risques». Pourtant, j’ai pris plusieurs fois le taxi, je suis rentré dans plusieurs bouis-bouis, et je n’ai pas hésité une seconde à saluer un mendiant unijambiste qui me demandait 100 Francs CFA pour manger ou un SDF complètement dans les vapes et qui cherchait juste de la compagnie. Des risques? Mais, ce n’est pas la jungle ici! Tiens, si ça peut embêter certains, ici ils ont aussi de très bons restaurants avec des super cartes et des Malls avec de grandes marques. Ils sont modernes, vous dis-je ! J’ai presque envie de dire que la modernité, comme d’ailleurs la non-modernité, ça n’a pas de pays, ni de nationalité, ni de religion, ni, encore moins, de couleur.

Maintenant, si on veut parler de niveau de vie, de différence de revenus et de tout ça, on ne va jamais se mettre d’accord. Parce que, entre nous, même chez nous, sur ces plans-là, il y a aussi à boire et à manger. Quand il y en a. Vous voyez, vous avez fini par m’énerver et par m’obliger à vous parler du bled. Bon, je crois qu’il est temps que je m’arrête d’autant plus que je suis invité à manger un mafé sénégalais et qui va sûrement être délicieux. C’est quoi un mafé? Je ne le vous dirai pas, na ! Ça vous apprendra à toujours raconter que comme nous, il n’y a pas pareil. Mais, avant de vous quitter, et comme je risque de ne pas vous voir avant, je vous souhaite d’ores et déjà un très bon ramadan et je vais vous dire vivement – rêvons un peu – une Afrique sans frontières et, bien sûr, vivement mardi prochain.

Par Mohamed Laroussi
Le 31/05/2016 à 10h59