Les promesses surréalistes des importateurs de thé

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Un milliard d’investissement, 3.000 emplois à créer, stabilité des prix, relance des exportations… Les promesses qu’ont faites les professionnels du thé sont intenables et juste destinées à leurrer le gouvernement qui leur met la pression sur les niveaux de prix. Fact-checking.

Le 20/02/2015 à 14h36

Jeudi 19 février, l’association qui regroupe les professionnels du thé au Maroc (APTM) a émis un communiqué où elle promet monts et merveilles: un milliard de dirhams d’investissements à réaliser, 3.000 emplois à créer, relance des exportations vers l’Afrique et stabilisation des prix sur le marché local. «C’est un communiqué qui a été émis sans concertation avec l’ensemble des membres de l’APTM», commente une source proche du dossier avant de lancer: «Ces engagements sont surréalistes et ne sont destinés qu’à leurrer le gouvernement qui met la pression aux importateurs de thé». Et pour cause…

«Les prix du thé au Maroc ont augmenté de presque 10% depuis décembre dernier sous l’effet d’une appréciation du dollar par rapport au dirham qui a été d’environ 15%», nous confie un professionnel du secteur. Cette hausse, forcément, n’est pas du goût du gouvernement qui digère mal cette envolée du prix public d’un produit de grande consommation. Dans une de ses habituelles sorties tonitruantes au parlement, le ministre Mohamed El Ouafa s’est montré intransigeant, voire menaçant, avec les professionnels de ce secteur.

La colère de Mohamed El Ouafa est quelque part justifiée. Le gouvernement se sent trahi par les opérateurs de ce secteur auxquels il a accordé un cadeau fiscal dans la loi de finances 2015. En effet, les droits de douane sur le thé importé en vrac ont baisser à 2,5% alors qu’ils se situaient entre 25% et 35% selon la variété du produit. Lors de la présentation du budget 2015, Mohamed Boussaid expliquait de manière limpide la logique qui a prévalu pour cette révision des tarifs douaniers.

Comme le dit si bien l’argentier du royaume, la baisse des droits de douane permet de favoriser le conditionnement du thé au Maroc. D’ailleurs, c’est bien dans des unités de conditionnement que les professionnels du thé comptent investir aujourd’hui. Sauf que le montant d’un milliard de dirhams est largement exagéré. «Une unité de conditionnement, c’est l’histoire d’une machine à installer, un entrepôt pour stocker la marchandise et quelques personnes pour faire tourner le tout», nous explique un professionnel du secteur sous couvert de l’anonymat. Or, il se trouve qu’une machine de remplissage, qui constituerait le gros de l’investissement, ne coûte pas plus de 805.000 euros, comme le prouve ce devis obtenu par Le360 auprès d’un fournisseur allemand.

A raison de 10 millions de dirhams par machine, il faudrait donc en acheter une centaine pour atteindre le montant annoncé d’un milliard de dirhams. Sauf que pour couvrir les besoins du marché national, il ne faut pas plus d’une dizaine de ces machines qui permettent, chacune, de conditionner entre 6.000 et 7.000 tonnes de thé par an. Et pour cause, la consommation annuelle moyenne de thé au Maroc ne dépasse pas 2kg par an et par habitant, soit un volume global de quelque 60.000 tonnes. «Pour disposer d’une dizaine d’unités de conditionnement largement capables de couvrir les besoins du marché local, le secteur n’a pas besoin d’investir plus de 100 à 200 millions de dirhams en comptant l’équipement, les dépôts et autres frais», nous confirme ce professionnel du secteur.

Idem pour les promesses en terme d’emplois. Chaque unité ne nécessitera pas plus d’une dizaine de salariés: la machine de conditionnement peut d’ailleurs être gérée par un seul technicien. En supposant donc la création d’une dizaine d’unités, seule une centaine de postes de travail seront créés. On est donc bien loin des 3.000 emplois promis par l’AMTP…

Les engagements trompeurs de cette association ne s’arrêtent pas aux seuls chiffres de l’investissement et des emplois. L’AMTP parle en effet d’une relance des exportations vers l’Afrique. Or, il s’agit clairement d’une promesse en l’air. «Pourquoi les pays africains achèteraient du thé au Maroc alors qu’ils peuvent s’approvisionner directement de chez nos fournisseurs chinois?», se demande notre source. Il a bien raison puisque, effectivement, le thé consommé au Maroc provient en totalité de pays asiatiques. D’ailleurs, cette exposition totale au marché international limite drastiquement la maîtrise du prix. «Les deux principaux facteurs qui rentrent dans la détermination du prix du thé sont le cours du dollar et le coût de la matière première», nous explique notre professionnel. Autrement dit, si le coût de production du thé augmente par exemple en Chine ou encore si le dollar s’apprécie par rapport au dirham (comme ce qui se passe aujourd’hui), l’AMTP ne pourra jamais honorer son engagement de «stabiliser le prix».

Contactés par Le360 pour être confrontés aux contradictions contenues dans leur communiqué farfelu (il ne fixe d’ailleurs aucun horizon pour la réalisation de ces engagements), plusieurs membres de l’AMTP sont restés injoignables. Sans doute qu’ils veulent éviter de torpiller un effet d’annonce qui semble plutôt fonctionner. «Le gouvernement est ravi de constater que les professionnels du thé se sont enfin décidés à investir et tenir compte de la réforme de la structure fiscale applicable au thé en vertu de la loi de finances 2015», nous confie une source gouvernementale. Mais l’Exécutif ne va pas tarder à comprendre qu’il s’agit de promesses intenables. Et le retour de manivelle risque d’être violent pour les opérateurs du secteur. Surtout quand leur vis-à-vis au gouvernement n’est autre que le terrible Mohamed El Ouafa…

Par Fahd Iraqi
Le 20/02/2015 à 14h36