A ceux qui croient nous censurer

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La censure ressemble aujourd’hui à une blague. Tout le monde en rit et personne n’y croit. Heureusement.

Le 16/01/2016 à 19h02

Sans surprise, le Maroc a interdit le dernier hors-série du magazine Sciences et avenir, dédié au thème « Dieu et la science ». Quel dommage. Au moment où, dans le monde entier, on appelle à l’ouverture et à la lecture « scientifique », c'est-à-dire débarrassé de toutes les crispations liées au sacré et à l’interdit, des récits, de tous les récits relatifs à l’histoire des religions, et même de la création, il existe encore des gouvernements, dont le nôtre, qui continuent d’interdire.

Il faudra expliquer au gouvernement marocain que la censure ressemble aujourd’hui à une blague. Tout le monde en rit et personne n’y croit. Censurez un film, un livre, un journal, et tout le monde se jettera pour les télécharger et les partager. C’est l’effet boomerang. Tant pis pour les éditeurs, privés de royalties. Mais tant mieux pour les auteurs qui seront lus, très lus. Tant mieux surtout pour les lecteurs qui auront lu, regardé et échangé sans débourser le moindre centime.

Si on vous parle d’un obscur artiste taïwanais ou comorien, vous allez hausser les épaules. Mais si on vous dit qu’il a été partout interdit ou que sa tête a été mise à mort, vous allez vous jeter sur ses travaux et ses écrits. Nous sommes comme Adam devant le fameux fruit défendu. On n’attend que de le croquer. C’est humain. C’est cela qu’il faudra expliquer à notre ministre de la Communication, qui ferait mieux de ne réserver ses ciseaux qu’à soigner sa barber et couper son jardin.

L’interdiction montre l’énorme décalage, aujourd’hui, entre la disposition d’esprit du lecteur marocain, ouvert et curieux de tout, et la mentalité du censeur restée, hélas, rétrograde. Le lecteur ne s’interdit plus rien, parce qu’il vit dans le monde d’aujourd’hui. Il filtre et organise ses lectures comme ses pensées. Le censeur vit, quant à lui, dans le passé, empêtré dans les tabous et les interdits.

Pour revenir à Sciences et avenir, ceux parmi vous qui ont lu le dossier interdit auront remarqué le sérieux et la rigueur apportés à la forme (dessins – miniatures) et au fond (récits, analyses, entretiens) des thèmes développés. La démarche de la revue est à l’opposé, par exemple, de celle d’un journal satirique comme Charlie hebdo. En interdisant les deux publications, le censeur marocain ferme tout simplement la porte aux grandes questions de notre temps, qu’elles soient distillées sur un ton provocateur (le cas de Charlie hebdo) ou serein et scientifique (cas de Sciences et avenir).

Qu’est-ce que la vie ? La mort ? La religion ? Dieu ? L’au-delà ? Le jour dernier ? Ces questions intéressent l’humanité entière. Le lecteur marocain se pose aussi ces questions. Depuis longtemps. Malgré les interdits qui le frappent de partout. Il se pose ces questions parce que c’est son droit le plus absolu. Il n’a pas peur, comme le prétend la légende du censeur, d’ébranler ses convictions ou sa foi. Il veut tout lire et tout savoir. De lui-même. Il est adulte et intelligent pour consulter le point de vue des chercheurs et des philosophes, même les plus déstabilisants, avant de se faire sa propre opinion sur les grandes questions de notre temps.

Quels que soient les arguments de la censure, ils ne pèseront rien devant cette liberté-là !

Par Karim Boukhari
Le 16/01/2016 à 19h02