Alain Chouet, ex-haut responsable à la DGSE, explique l'efficacité du renseignement marocain

Alain Chouet, ancien haut responsable à la DGSE.

Alain Chouet, ancien haut responsable à la DGSE. . dr

La célérité et l’efficacité avec lesquelles le commando de Saint-Denis a été neutralisé continuent de susciter l’intérêt des milieux politiques et des renseignements étrangers. Le rôle central joué par le renseignement marocain est souligné par Alain Chouet, ancien chef de sécurité à la DGSE.

Le 22/11/2015 à 11h34

Nouvelle reconnaissance pour le rôle clef joué par le renseignement marocain dans la mise hors état de nuire du commando de Saint-Denis, neutralisé mercredi 18 novembre! Et c’est un ancien haut responsable de l’espionnage français qui vient de l’exprimer. Dans une interview au site français d’information en continu, Mediapart, Alain Chouet, chef du renseignement de sécurité de 2000 à 2002, souligne clairement que «c’est le renseignement marocain qui a permis de remonter jusqu’à l’équipe de Saint-Denis».

Alain Chouet, qui a été en poste à Rabat, n’hésite pas à planter une pique à l’Algérie, quand il est interrogé sur le niveau de coopération sécuritaire avec les pays du Maghreb. «Les services algériens, c’est en fonction du régime», déplore-t-il.

Et pas seulement, car même «entre pays européens, les échanges d’informations ne se passent pas très bien (…). Concrètement, on peut entrer par un poste frontière quelconque, d'un pays pas forcément très regardant parce que peu concerné, et ensuite aller où on veut sans contrôle. Tout le monde en Europe n’a pas de passeport sécurisé, et nos frontières sont poreuses», regrette cet ancien haut responsable de l’espionnage français.

Idem pour les États-Unis où « ça fonctionne cahin-caha. Ils ont seize agences de renseignement qui ne correspondent pas entre elles, avec 300.000 personnes en tout. C’est le règne de l’hyperspécialisation et du cloisonnement entre les agences. Pour prendre un exemple simple, le FBI peut nous demander des choses, mais ne peut pas nous en donner car il est soumis au secret. C’est problématique ».

Quant à la Russie, c’est un autre problème, celui de l’intégration des services de renseignement au service de la politique étrangère russe. En résumé, ils ne nous donnent que ce qu’ils veulent. Et en plus, ça peut être calculé. A chaque fois, c’est donc à prendre avec des pincettes», relève-il encore.

«Fallait pas baisser la garde sur le renseignement humain»

Interrogé sur les « failles » sécuritaires, mises à profit par Daech, acronyme arabe de «l’Etat islamique», Alain Chouet se veut très critique à l’égard du fameux «big data», renseignement technologique à l’américaine. «On a voulu miser sur le renseignement technologique, à l’américaine, le «big data» et toutes ces choses-là. Or, ce n’est pas très efficace. Il suffit de voir aux Etats-Unis, les déclarations du général Alexander, patron de la NSA (Ndlr : National security agency), en 2013, sur l’efficacité très relative des milliards dépensés dans la technologie après le 11 septembre», regrette l’ancien haut responsable à la DGSE française.

«Aujourd’hui, on en est pourtant là: on a concentré nos moyens sur le renseignement technologique, et on a baissé la garde sur le renseignement humain», pointe-t-il, à juste titre d’ailleurs.

Pour s’en apercevoir, il suffit de méditer un tant soi peu sur l’excellent travail policier réalisé en ce mercredi 18 novembre à Saint-Denis. «La centaine de perquisitions administratives fructueuses réalisées dès le lendemain du 13 novembre montre que les policiers avaient des objectifs », fait valoir Alain Chouet, plaidant pour un recentrage du travail de renseignement sur l’élément humain. La priorité doit donc être accordée moins au technologique qu’aux moyens humains.

Pour conclure, il milite pour moins de collecte de données et plus de moyens humains au sein des services français. «Aux Etats-Unis, le dragage massif de données n’a pas permis d’éviter les attentats de Boston, et même pas les mitraillages hebdomadaires sur les campus qui avaient été annoncés par leurs auteurs sur les réseaux sociaux», constate-t-il. «On n’a vraiment pas intérêt à mettre tous nos œufs dans le panier des écoutes massives. Il nous faut des ressources humaines et opérationnelles. Pour le prix d’un satellite d’écoute, on peut embaucher des centaines de personnes», plaide-t-il, en connaissance de cause.

Or, n’est-ce pas là le secret de l’efficacité du renseignement marocain, à l’intérieur comme à l’extérieur? Un modèle à suivre.

Par Ziad Alami
Le 22/11/2015 à 11h34