De l’indifférence comme méthode et arme

Le360

ChroniqueComme pas mal de gens, j’ai regardé jeudi 26 mai le documentaire de M. Lopez sur la monarchie. Je n’en dirai rien car il n’y a rien à en dire. Le défilé des personnages qui répètent depuis longtemps les mêmes litanies est pathétique. Laissons-les entre eux. Oublions-les. Passons à autre chose.

Le 30/05/2016 à 11h02

Je me souviens d’une phrase lue dans un roman du siècle dernier où il est question d’un personnage qui «marche tranquille, indifférent comme un grand seigneur que rien n’étonne». Cette attitude a de la noblesse et de la hauteur. Etre indifférent, ce n’est pas avoir du dédain ou du mépris, c’est juste se tenir à l’écart pour ne pas être dérangé, désorienté par ceux qui cherchent à ce que vous perdiez votre équilibre, votre calme et tomber dans le piège de leur agression. Quand on parvient à ce qu’on ne soit touché que par les choses importantes, celles qui méritent une réaction, une réponse, quand on sait établir la distance nécessaire entre soi et les autres, on peut dire qu’on a fait de l’indifférence une méthode et une arme.

Balzac détestait l’indifférence. Il écrit dans «Béatrix»: «C’est la vie, elle est préférable avec ses blessures et ses douleurs, aux noires ténèbres du dégoût, au poison du mépris, au néant de l’abdication, à cette mort du cœur qui s’appelle l’indifférence». En même temps le commerce des hommes est plein d’embûches et de coups fourrés. Il faut avoir vécu longtemps et avoir traversé des mers et des épreuves pour atteindre ce sommet de la sérénité qu’est l’indifférence. Quand elle est «mort du cœur», elle est sécheresse et dureté. Nous n’en sommes pas là.

Nous, citoyens marocains, devons cultiver l’indifférence à l’égard de ceux dont le but entêté est de détruire la paix et la stabilité dont jouit notre pays. Nous sommes tous assez critiques de ce qui se passe chez nous. Nous connaissons nos faiblesses et nos fléaux. Nous le disons souvent: nous ne sommes pas parfaits. Nous avons même tendance à être, entre nous, plus sévères que les observateurs de l’extérieur, mais nous ne supportons pas le regard critique quand il vise un but non avoué et qui tente de faire mal.

Comme pas mal de gens, j’ai regardé jeudi 26 mai le documentaire de M. Lopez sur la monarchie. Je n’en dirai rien, car il n’y a rien à en dire. Le défilé des personnages qui répètent depuis longtemps les mêmes litanies est pathétique. Laissons-les entre eux. Oublions-les. Passons à autre chose.

Cependant, le Maroc subit des attaques venant de plusieurs directions. Cela dépasse la mauvaise foi affichée du documentaire de M. Lopez. D’un côté, soyons indifférents, de l’autre restons vigilants et défendons ce que nous sommes de manière intelligente, ferme et en même temps subtile.

L‘état du monde arabe est assez douloureux. On dirait que la santé relative et la stabilité certaine du Maroc dérangent certains. Ils voudraient nous voir “syrianisés” ou “irakanisés” ! L’horreur absolue. Aucun Etat arabe n’est à l’abri d’une déstabilisation. L’Amérique et Israël se frottent les mains quand ils constatent le désastre du monde arabo musulman. Les divisions, les déchirures, les trahisons minent le monde arabe, entité virtuelle qui n’a jamais réellement existé. Pendant ce temps-là, Israël poursuit en toute impunité la colonisation des territoires palestiniens, traite par le mépris toute proposition de négociation, et avance en accumulant les faits accomplis. Il sait qu’aucun pays arabe n’est en mesure de s’opposer à sa politique coloniale et raciste, il en est même qui sont ses alliés objectifs. Les Palestiniens sont eux-mêmes divisés. Alors dans ce tableau dramatique, le Maroc émerge, il trace son chemin et poursuit son développement tout en sachant qu’il lui reste beaucoup à faire.

Soyons à l’image de ce «grand seigneur que rien n’étonne» et marchons en avant sans oublier que nos failles et défauts sont plus nombreux que nos qualités.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 30/05/2016 à 11h02