L’affaire des jupes d'Inzegane dénude les islamistes

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Des obscurantistes font tomber les masques, tandis que des dirigeants islamistes se terrent dans le silence face à l’affaire des deux jeunes filles poursuivies pour outrage à la pudeur. Contours d’un scandale qui place le curseur de radicalisation à un niveau jamais atteint.

Le 30/06/2015 à 22h55

«Mesdames, jetez au feu vos mini-jupes, shorts, débardeurs et autres robes sexy! La mode au Maroc est à la burka!». C’est en substance le message terrifiant que l’on adresse aux femmes marocaines avec ce fameux procès des «jupes d’Inzegane». Dans cette ville-dortoir d’Agadir – où la densité au mètre-carré des barbes, tuniques et burka, est peut-être l’une des plus élevées du Maroc – deux jeunes filles se retrouvent au centre d’une affaire ubuesque. En choisissant de faire des courses dans le souk en habits courts, elles sont poursuivies pour outrage public à la pudeur alors qu’elles auraient été victimes de harcèlement. Toutes les caméras du monde sont alors braquées sur ce Maroc où modernistes et conservateurs se disputent une marge de liberté sur l’espace public. Et il y a bien de quoi. Puisqu’avec l’affaire des «jupes d’Inzegane», le curseur de radicalisation de notre société franchit un seuil inquiétant, voire alarmant!

Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est la réaction de nos hommes politiques. Parmi eux, certains ont fait tomber les masques. Prenez Hassan Bennajeh, une des figures de proue d’Al Adl Wal Ihsan. Dans un post Facebook, celui-ci a considéré l’affaire comme «futile et banale» qui «ne mérite pas tout ce tapage». Pis encore, le membre du cercle politique de la jamaâ estime que ceux qui dénoncent ces poursuites «soufflent sur le brasier de la ‘fitna’ qui ne ferait qu’affaiblir la société et renforcer le despotisme». Hassan Bennajeh sait ou devrait savoir que le vrai despote est celui qui veut à tout prix imposer un modèle unique dans la société. Celui pour qui toute différence est une hérésie. Celui qui refuse la pluralité des opionions et des avis et veut imposer une façon unique de penser, d'agir et de s'habiller. La Jamaâ dévoile ainsi sa vision antidémocratique avec laquelle elle appréhende la vie en société: un impératif d'agir, de penser et de paraître qui fait violence à tout ce qui n'est pas conforme au dogme adliste.

Autre exemple est celui de l’honorable députée Pjdiste Amina Maelainine. Elle aussi a exprimé sur les réseaux sociaux son dédain par rapport à cette affaire et a laissé apparaître au grand jour le mépris qu’elle a pour la cause féminine. En s’adressant à ceux qui participent à la flottille de la liberté à destination de la Palestine, elle a écrit «vous hissez le drapeau de la Palestine pendant qu’ils hissent des jupes!» et ce, en référence aux manifestants des sit-in à Casablanca et à Agadir, organisées en solidarité avec les filles d’Inzegane.

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La déclaration de la députée islamiste, bien qu’elle n’engage que sa propre personne, met à mal toute sa famille politique. Lundi 29 juin au soir, Abdelilah Benkirane a dû s’aligner sur la position de ses alliés politiques quant à cette affaire. C’est Nabil Benabdellah, secrétaire général du PPS, qui l’a annoncé à l’issue d’un ftour de travail qui a réuni les chefs des quatre partis de la majorité gouvernementale. «Lors d'une réunion des partis de la majorité PJD RNI MP PPS ce soir, dénonciation ferme de la poursuite des deux jeunes filles d'Inzegane», a twitté le chef de file du PPS.

Mais cette «dénonciation ferme» est resté figée à ce tweet. Elle ne s’est pas traduite par une prise de position officielle du gouvernement. Personne n’a jusque-là entendu Abdelilah Benkirane s’exprimer sur ces poursuites infondées, comme l’aurait fait un homme d’Etat digne de ce statut. Lui qui nous a habitué de prendre position sur tout et n’importe quoi, se garde bien de se prononcer sur cette mascarade, si ce n’est entre deux bouchées de chebakia, en parlant sous sa barbe avec ses alliés politiques dont il a grand besoin à la veille d’un nouveau rendez-vous électoral.

Son partisan et ministre de la Justice, Mustapha Ramid, de son côté, reste muet au sujet de cette mise en examen. On aurait été pourtant rassuré de voir son département confirmer que les poursuites décidées par le procureur d’Inzegane sont bel et bien fondées. Car l’article 483 du code pénal sur lequel il se base, est le genre d’articles à se prêter à toutes les interprétations abusives et imaginables. Jugez-en par vous-mêmes: «Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l'obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l'emprisonnement…», peut-on lire dans le texte de loi. Où commence la nudité ? Une partie dénudée du corps participe-t-elle de la nudité ? Avouez qu’une telle loi se prête à toutes les lectures et peut potentiellement mettre nombre de Marocains derrière les barreaux… Jusque-là l’article 483 ne suscitait aucun intérêt. Il risque désormais de s’accaparer des feux des projecteurs.

Maintenir un tel texte laisse la marge à une application radicale de cette loi. Et le cautionner par son silence quand on est chef de gouvernement peut traduire une volonté d’aller dans ce sens.

Par Fahd Iraqi
Le 30/06/2015 à 22h55