Le retour de Satan

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Revue de presseComme en 2003, un tribunal marocain semble confondre satanisme et heavy metal. Vite, corrigeons l’erreur avant qu’il ne soit trop tard.

Le 09/05/2015 à 20h45

L’information a été rapportée par plusieurs médias et elle est étonnante : un tribunal à Agadir a refusé d’autoriser le mariage de deux personnes parce qu’elles sont soupçonnées… de satanisme. Le jeune homme est Marocain et la jeune femme Allemande. Ils se sont connus via internet et ont une passion commune pour le heavy metal, un genre musical très particulier avec un certain nombre de codes vestimentaires que les jeunes connaissent par cœur. Le jeune homme tenait, par ailleurs, une boutique dédiée au heavy metal. Le couple a fait une première demande de mariage, ensuite une deuxième, toutes les deux refusées par le tribunal. Parce qu’un juge les soupçonne d’être des adorateurs de Satan.

Cette histoire ne vous rappelle rien ? Oh que si. En 2003, quelques semaines avant les attentats de mai, une autre bombe avait éclaté à Casablanca. Une bande de quatorze personnes, pour la plupart musiciens ou amateurs de heavy metal, ont été arrêtées et jugées pour satanisme. Ceux qui ont suivi cette affaire de près en gardent un goût particulièrement amer. Les audiences au tribunal ressemblaient à des séances d’inquisition où l’absurde était très souvent au rendez-vous. Parmi les pièces à conviction, il y avait… des disques de rock ou de heavy metal, des bagues, des posters, des paroles de chansons, des t-shirts ou des cendriers. Et, pour rester dans le ridicule, les questions des juges partaient dans des directions étonnantes : Etes-vous musulmans ? Connaissez-vous la Chahada ? Lisez-vous le Coran ? Pourquoi portez-vous le noir ? Pourquoi vous isolez-vous ? Pourquoi chantez-vous la mort ? Pourquoi écrivez-vous en anglais et pas en arabe ? Pourquoi aimez-vous les chansons qui appellent à la mort ou au suicide ?

Si cette affaire est restée dans les annales, c’est parce qu’elle reposait sur une erreur. Ou un malentendu, un gigantesque malentendu : les enquêteurs ignoraient tout de…la culture rock et des rituels (look, code vestimentaire) qui lui sont parfois attachés. Il n’y avait aucun « satanisme » dans cette histoire, mais une bande de gamins qui cultivaient un look spécial. Ni plus ni moins. Il n’empêche que les jeunes gens ont été jetés en prison avant d’être relaxés, quelques mois plus tard, suite à une large campagne de solidarité

Le fait-divers d’Agadir nous replonge dans cette ambiance malsaine de 2003. Si j’ai bien compris, le jeune homme d’Agadir et sa fiancée allemande sont des adorateurs…de heavy metal. Ils ont le look et les tics qui vont avec. C’est leur liberté. Mais les enquêteurs, là encore, ne connaissent probablement rien à la culture rock. Ils ont certainement accumulé comme « preuves » des t-shirts et des pochettes de disques, peut-être aussi des cendriers et des bagues. Et des paroles de chansons sombres ou suicidaires. Ils sont donc, selon les éléments dont on dispose pour le moment, en train de reproduire les mêmes erreurs qu’en 2003.

Il faut espérer que le tribunal d’Agadir arrête les frais à ce niveau et accorde au couple la fameuse autorisation de mariage. On ne va quand même pas empêcher les gens de se marier à cause de leur look ou de leurs préférences musicales.Telle qu’elle se présente, cette affaire grotesque contredit les efforts fournis pour améliorer l’état des libertés individuelles au Maroc. Elle ne respecte pas, non plus, l’esprit de la nouvelle Constitution. Et elle tombe à pic pour nous rappeler que beaucoup de choses doivent être changées dans le Code pénal marocain. C’est d’actualité !

Par Karim Boukhari
Le 09/05/2015 à 20h45