L’homme le plus honnête du monde

Mahmoud Abdullah, je ne le connais pas plus que vous, il a d’ailleurs un nom plutôt courant (il doit y avoir des centaines de Mahmoud Abdullah dans les annuaires téléphoniques de Damas ou de Bagdad…), mais son histoire, elle, n’est pas banale.

Elle se déroule en deux parties.

1. L’homme se promène dans les rues d’Alsdorf, petite bourgade paisible au nord d’Aix-en-la Chapelle, en Allemagne. Il remarque, sur le trottoir, une sorte de petit cahier. Il se penche, le ramasse et s’aperçoit que c’est un carnet d’épargne, dans lequel le retraité allemand qui l’a perdu notait scrupuleusement ses dépôts et ses retraits. Il contient aussi du cash, quelques billets pliés dedans. L’ami Mahmoud compte l’argent : il y en a pour mille euros…

Mahmoud pense-t-il à sa femme et à sa fille, laissées dans un camp de réfugiés au Moyen-Orient pendant que lui-même tentait la traversée périlleuse qui l’a amené en Allemagne ? Ces mille euros pourraient peut-être leur permettre de le rejoindre… Médite-t-il sur la vie chiche qu’il mène à Alsdorf, où il ne dispose que de quelques euros par jour pour se nourrir ? Il pourrait maintenant faire bombance, s’acheter des habits élégants, une radio… On ne sait pas à quoi Mahmoud a pensé. On ne sait que ceci : il va au bureau de police le plus proche et remet à l’officier de service le carnet et les mille euros. Et il s’en va.

2. Jusque-là, chacun de nous pourrait dire : « Ce Mahmoud est un homme honnête, mais ce n’est pas exceptionnel : dans de telles circonstances, j’aurais agi comme lui. » D’accord. Voyons maintenant la deuxième partie de l’histoire. La police, qui avait noté le nom et l’adresse de Mahmoud, vient le voir pour lui remettre quelque centaines d’euros : c’est la récompense qui était promise à quiconque aurait trouvé le carnet d’épargne. Et voici l’incroyable : Mahmoud refuse la récompense. Il considère que c’est lui qui doit quelque chose au peuple allemand, qui l’a accueilli et lui a donné un toit et de quoi vivre. Épatés, les policiers alertent la presse. On a découvert l’homme le plus honnête du monde à Alsdorf.

Cette histoire m’a d’autant plus fait plaisir que l’attitude de Mahmoud contraste avec celle de certains réfugiés qui, une fois admis en Allemagne ou aux Pays-Bas – les deux cas que je connais le mieux – n’ont de cesse critiquer les Allemands ou les Hollandais, leur façon de vivre, leur langue « gutturale », leur cuisine « infecte », leurs mœurs « dissolues », etc. Mahmoud, d’un seul coup, a compensé les mauvaises manières de dix mille ingrats…