L’hôtel infernal de Fès

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueFouad Laroui est très en colère contre un hôtel où il a séjourné à Fès. Il nous restitue le récit de deux jours dont il se souviendra pour de bien mauvaises raisons.

Le 07/05/2015 à 18h22

Trêve de gentillesse! On ne va pas être indulgent aujourd’hui parce qu’il s’agit de quelque chose de très important, en l’occurrence l’ambition de notre pays d’être à la pointe de l’excellence en ce qui concerne le tourisme. Ce sont les hôtels qui sont en première ligne, ce sont eux que les touristes voient en premier. Ils constituent la vitrine du pays. Or je viens de passer deux jours surréalistes dans un hôtel de Fès.

Donc: j’arrive à l’hôtel W (inutile de donner son nom complet), on me donne une chambre et là, je constate que le téléphone ne fonctionne pas. Comme je fais partie des dinosaures qui ne possèdent pas de téléphone portable, le fixe est pour moi vital. Je demande qu’on me répare le téléphone ou qu’on me change de chambre. On m’assure que ce n’est pas la peine, que la réparation va être faite incessamment… Inutile de créer ici un suspense digne de Hitchcock: la réparation n’a pas été faite au cours des deux jours que j’ai passés dans la chambre 519. Le technicien annoncé toutes les demi-heures ne s’est pas plus matérialisé que la licorne ou le mouton à cinq pattes. Impossible d’être joint pendant 48 heures. Il se peut que le monde ait cessé d’être ou que Scarlett Johansson m’ait cherché pour me proposer le mariage – tant pis pour moi, j’étais incommunicado.

J’aurais pu me consoler en appréciant le buffet du petit déjeuner mais de petit déjeuner, il ne fut point question. Le soi-disant thé à la menthe était de l’eau chaude et le café du jus de chaussette, le tout servi dans des brocs ébréchés (allez vérifier si vous ne me croyez pas). Pour accompagner ces infâmes breuvages, il y avait là un misérable cake qui se désintégrait de honte dès qu’on posait les yeux dessus, du fromage en plastique criard et des yaourts dont les couleurs semblaient sortir de la palette de Van Gogh – d’ailleurs, ils étaient contemporains de Van Gogh. Et dire que nous nous vantons d’avoir l’une des meilleures cuisines du monde!

Le dimanche matin, j’étais en train de faire mon check-out à la réception quand surgit soudain un bonhomme échevelé, pâle, en sueur et qui se mit à hurler et à sangloter. Le pauvre gars venait de passer une demi-heure coincé dans l’ascenseur et, en plus, la sonnette d’alarme ne fonctionnait pas! Je répète cette phrase à l’attention des distraits, des pompiers de Fès et des autorités compétentes: à l’hôtel W, non seulement l’ascenseur peut s’arrêter entre deux étages – après tout, ce sont des choses qui arrivent – mais la sonnette d’alarme qui se trouve à l’intérieur de la cabine ne fonctionne pas. Ça, c’est impardonnable.

Après le malheureux enterré vivant dans l’ascenseur, c’est le tour de trois touristes asiatiques qui viennent signaler à la réception qu’au cours du petit déjeuner, ils n’ont pas compris la différence entre le fameux thé à la menthe marocain et l’eau chaude inventée il y a bien longtemps par l’homme de Cro-Magnon. On leur assure que ce sont leur papilles gustatives qui ne sont pas à la hauteur. Ils s’en vont, médusés.

C’est mon tour. Puisque le téléphone de ma chambre ne fonctionne toujours pas, je suis obligé d’appeler de la réception pour qu’on vienne me chercher. L’appel est local et ne dure que trente secondes, cela n’empêche pas le réceptionniste de me réclamer, imperturbable, la somme de vingt dirhams. J’en fais une question de principe et refuse de payer. Il me menace alors d’appeler à la fois les policiers et Dieu. Je ne plaisante pas: à l’hôtel W de Fès, le profane et le spirituel se mélangent, on me menace à la fois des foudres divines et de celles de la force publique. Assez déconcerté, je demande au réceptionniste dans quel ordre je vais être puni pour avoir refusé de me faire escroquer de vingt dirhams: Dieu d’abord et la police ensuite, ou les flics d’abord et l’Être suprême après? Vous admettrez que c’est un dilemme théologico-politique passionnant, digne d’un traité de Farabi ou d’Ibn Sina, mais le réceptionniste ne semble pas comprendre ma question et continue de mêler la transcendance divine et Pinot, simple flic - ce qui me semble constituer une forme de blasphème, mais bon, je ne suis pas mufti.

Menacé sur Terre et au Ciel, j’exige de parler au directeur. Il n’est pas là, ce qui peut se comprendre puisqu’on est dimanche, mais il n’est même pas joignable: son portable est éteint – ou alors le réceptionniste a composé un faux numéro. Finalement, l’ami qui devait venir me chercher arrive et nous partons dans un haussement d’épaules synchronisé pendant qu’on continue, dans mon dos, de me maudire à haute voix jusqu’à la dixième génération.

En sortant, je me retourne pour vérifier quelque chose sur la façade de l’hôtel. Quatre étoiles y figurent! Franchement, ce sont des étoiles bien racornies, bien chétives, et ce n’est pas avec des étoiles éteintes, un ascenseur capricieux, de l’eau chaude en guise de petit déjeuner et les malédictions d’un réceptionniste mûr pour Daesh qu’on risque d’attirer vingt millions de touristes en 2020!

Par Fouad Laroui
Le 07/05/2015 à 18h22