L’université du moyen-âge

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Comme la société, l’université marocaine est le théâtre de violences, de règlements de compte… et de tentations de revenir au moyen-âge.

Le 21/05/2016 à 16h59

L’histoire qui nous vient de Meknès est affligeante: des étudiants universitaires ont improvisé une sorte de tribunal populaire pour juger et condamner une jeune femme accusée d’espionnage (chez nous, on dit plutôt tberguig). La sentence est tombée comme un couperet: les «juges» ont rasé les cheveux et les sourcils de la jeune femme. Avec une mise en garde: la prochaine fois, ce n’est pas les cheveux et les sourcils, mais les mains et les pieds qui seront coupés…

Le plus hallucinant, c’est que ce simulacre de procès et de jugement-exécution a eu lieu à l’intérieur même de l’enceinte universitaire, devant un public-auditoire d’étudiants.

Derrière la violence, il y a la symbolique qui est très forte. Nous sommes face à un tribunal populaire: les étudiants remplacent le «peuple» et l’enceinte universitaire tient lieu de place publique. Nous sommes aussi face à un tribunal d’inquisition: l’université devient un temple ou une église, et les “juges-étudiants” sont les gardiens de ce temple inviolable.

La violence, le caractère public, le cérémonial et la nature même du jugement: tout cela semble droit sorti du moyen-âge. Nous sommes devant une émanation de la société pré-moderne. Ce n’est pas la loi mais la vindicte populaire qui a puni «l’espionne»... qui aurait pu être, il y a quelques siècles donc, une sorcière ou une femme adultère.

Le fait que la coupable désignée soit une femme rajoute une autre dimension à la symbolique, déjà très forte: l’avilissement. En rasant les cheveux d’une femme, on la stigmatise en société, on la «marque» comme un bétail, et surtout on s’attaque à ce qu’elle a de plus cher, en dehors de sa vie: sa féminité.

Ce qui s’est passé à Meknès ne vient pas de nulle part. L’université marocaine est depuis quelque temps le théâtre d’affrontements et de règlements de compte dignes du Far West. Exemple: en 2014, un étudiant islamiste a été assassiné par des étudiants gauchistes… qui se vengeaient d’un crime perpétré, quelques années plus tôt, contre un des leurs.

En dehors de l’éternel conflit islamistes-gauchistes, qui n’est que le prolongement de la guerre idéologique et politique qui oppose les deux tendances au sein de la société marocaine, l’université est gangrenée par d’autres problèmes liés aux revendications d’indépendance (cas des Sahraouis), à la réhabilitation des identités (cas des Amazighs), ou à la chasse aux déviants sexuels (cas des homosexuels notamment, régulièrement pris à partie).

Dans ce «théâtre» qu’est devenue l’université marocaine, la figure du traitre, de l’espion (bergag ou «policier»), est omniprésente et régulièrement mise à l’index. Et les simulacres de procès, qu’ils soient publics comme à Meknès ou le plus souvent secrets, sont monnaie courante.

Ne nous y trompons pas: ces faits ne sont pas l’apanage des seuls étudiants gauchistes, mais des islamistes et des autres aussi.

Cette mise en contexte ne doit pas nous faire croire que ce qui vient de se passer à Meknès est un événement mineur, à ranger dans le tiroir des petits drames ordinaires de l’université marocaine. Au contraire. L’université n’est qu’un microcosme d’une société en mal de repères, paranoïaque, pressée de se faire justice et de restaurer son honneur perdu. Et tentée, de plus en plus, par de violents retours aux mœurs et usages du moyen-âge.

Par Karim Boukhari
Le 21/05/2016 à 16h59