CAN 2015: Récit d’un fiasco marocain

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De Lubumbashi où l’organisation fut attribuée au Maroc jusqu’au Caire où elle lui fut retirée, récit du long feuilleton de la Coupe d’Afrique des Nations au Maroc. Des milliards investis pour un rêve inaccompli qui met à nu l’amateurisme des organisateurs marocains.

Le 10/11/2014 à 14h33

Des déceptions, en foot, nous en avons pris l’habitude. Les non-qualifications en Coupe du monde et les prestations ternes en Coupe d’Afrique ont depuis longtemps eu raison de la mythique formule: «Le Maroc, grande nation de football!», héritée de l’exploit exceptionnel de Mexico en 1986. Mais la déception de la Coupe d’Afrique des Nations 2015 a un goût particulier. C’est une coupe qu’on a perdue avant même de la jouer. Elle nous échappe en dehors de ces stades pour lesquels des milliards de dirhams ont été investis. Le Maroc a déclaré forfait en renonçant à l’organisation, trois mois avant le coup d’envoi, alors que tout était prêt pour accueillir cette coupe attendue par le royaume depuis 26 ans. En campant sur sa demande de report, malgré le refus de la Confédération africaine, le comité d’organisation marocain a gâché la fête. Et surtout, il a montré son amateurisme dans la gestion d’un dossier, certes complexe, liant à la fois l’image du Maroc à l’étranger, la santé publique et les affaires sportives.

En 2011, on décroche l’organisation

L’organisation de cette Coupe d’Afrique, le Maroc est allée la chercher à Lubumbashi, dans la brousse de la République démocratique du Congo (RDC), il y a de cela près de quatre ans. Le 28 janvier 2011, un vol de la Royal Air Maroc est affrété par le ministère des Sports et la Fédération royale marocaine de football, pour une réunion du comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF) dans cette ville de la RDC. Moncef Belkhayat et Ali Fassi Fihri, à l’époque aux commandes, embarquent une délégation de plus de 100 personnes pour l’événement… tellement certains de leur coup. Et ça ne rate pas: le Maroc est désigné pays hôte de l’édition 2015, c’est la deuxième fois qu’il doit abriter la CAN, après celle de 1988. La délégation rentre heureuse et surtout aucun cas de chikungunya tropical n’est à déplorer…

La faute à Ebola

44 mois plus tard, personne ne se doutait qu’une autre maladie, Ebola, allait finir par priver le Maroc de ce rêve africain. Surtout qu’entre temps, des chantiers de nouveaux stades aux normes de la FIFA ont vu le jour: à Marrakech, Tanger et Agadir... Avec la rénovation d’autres terrains à Fès et à Rabat, ce sont des milliards de dirhams d’investissement qui ont été mobilisés pour cet événement. Mais entre temps aussi, il faut rappeler qu’il y a eu du changement au niveau du comité d’organisation: Mohamed Ouzzine, nouveau ministre des Sports et Faouzi Lakjaâ, promu à la tête de la Fédération royale marocaine de football après un long feuilleton à rebondissements, ont pris les commandes. Sauf que rien n’indiquait que ce nouveau duo de choc allait commettre un forfait à trois mois seulement de l’ouverture de cette compétition.

Un report surprise

Le 10 octobre dernier. Le roi venait de finir un discours au parlement où il appelle les politiques à faire preuve de responsabilité. Chabat et son concitoyen de Fès Lebbar montraient qu’ils avaient compris le message en se crêpant la moustache au sein de l’hémicycle. Quand soudain, Mohamed Ouzzine lance la bombe: «Le Maroc a saisi la CAF pour demander le report de la Coupe d’Afrique prévue au royaume en janvier prochain», indique le communiqué laconique du ministère des Sports. «Cette décision intervient suite à une demande du ministère marocain de la Santé qui veut éviter les rassemblements où prennent part des pays touchés par le virus Ebola», poursuit la missive d'Ouzzine avant de conclure: «une délégation officielle marocaine se rendra la semaine prochaine au Caire pour rencontrer le président de la CAF en vue d'examiner les mesures de mise en œuvre de ce report»… comme pour signifier l’accord de principe de la Confédération présidée par Issa Hayatou.

La claque de la CAF

Au final, il s’avère qu’il n’en est rien de cette assurance de la part des responsables du comité d’organisation marocain. Le 3 novembre dernier, le président de la CAF avec sa délégation ont fait le déplacement à Rabat pour leur donner une claque: une fin de non recevoir pour la demande de report de la CAN. Issa Hayatou trouve les arguments marocains peu convaincants. Et il y a bien de quoi: jouer le prétexte de la propagation de l’Ebola alors que le Maroc se montrait jusque-là, le plus solidaire des pays avec les contrées touchées par l’épidémie est un curieux retournement dans la position marocaine. Jusque-là, la compagnie aérienne nationale (RAM) est une des rares au monde à maintenir des liaisons avec les pays où l’Ebola a fait des ravages, notamment pour des raisons humanitaires. Mieux encore, la Guinée où la maladie s’est déclarée joue ses matchs officiels de qualification à cette CAN au Maroc… Issa Hayatou avance ainsi que le Maroc est capable de contenir les risques liés à Ebola, dont la propagation tend à diminuer.

Une chance pour se raviser

Avec un délai de cinq jours accodré pour clarifier la position du Maroc, nombreux sont ceux qui ont pensé que le duo Ouzzine-Lakjaâ allait se raviser. L’annonce du report a eu lieu sans concertation préalable avec la CAF. Leur stratégie de mettre la Confédération devant le fait accompli n’était au final qu’un coup de bluff mal senti. Ils décident pourtant de le jouer jusqu’au bout. Samedi 8 novembre, un nouveau communiqué du ministère des Sports tombe, réaffirmant que le Maroc campe sur sa demande de report. Mieux encore, les organisateurs s’appuient sur des arguments déconcertants: ils avancent qu’un report d’une année a l’avantage de permettre «un ajustement du calendrier de la CAN pour reproduire ainsi le schéma des éditions 2012 et 2013 durant les années 2016 et 2017».

Cela revient à prendre le comité de la CAF pour des simplets. Il n’empêche que la Confédération africaine se retrouve malgré tout au pied du mur: elle devra trouver un nouveau pays hôte, soit d’annuler l’édition 2015. Dans les deux cas, le Maroc devra écoper de lourdes sanctions: jusqu’à 3,5 milliards de dirhams d’amende et quatre ans de suspension des compétitions africaines, selon des spécialistes. Le verdict final est à attendre demain, à l’issue de la réunion du bureau exécutif de la CAF qui se tient au Caire. Mais le Maroc a déjà beaucoup perdu en terme d’image. Sa crédibilité quant au respect de ses engagements en a pris un sérieux coup. Ce faux pas qui porte préjudice au Maroc dans son positionnement sur l’échiquier africain, le royaume va devoir le réparer au prix fort.

Par Fahd Iraqi
Le 10/11/2014 à 14h33