Les ratés diplomatiques du régime algérien font le lit d’une reprise imminente des manifestations du hirak

Manifestation de soutien à Gaza du 19 octobre 2023 à Alger.

Comment expliquer que le régime algérien qui a toujours claironné que la cause palestinienne est sa principale priorité, en arrive à interdire des marches populaires de solidarité avec la Palestine? Cette contradiction a poussé nombre d’Algériens à multiplier récemment les appels sur les réseaux sociaux en faveur d’une reprise des manifestations dans les grandes villes du pays, appels qui interviennent à l’approche du cinquième anniversaire du hirak populaire, déclenché le 22 février 2019.

Le 08/02/2024 à 11h58

L’interdiction de toute manifestation de solidarité avec la Palestine fait scandale en Algérie. Après avoir réprimé nombre de tentatives de manifester à Alger dès la première semaine du déclenchement de la guerre de Gaza entre le Hamas et l’armée israélienne, la junte algérienne a été contrainte d’organiser elle-même un simulacre de manifestation de soutien à la Palestine, à laquelle ont participé essentiellement des soldats en civil et leurs familles. Cette manifestation du 19 octobre dernier, retransmise en direct par les télévisions d’État qui soit dit en passant n’ont jamais montré une seule image des manifestations du hirak, et qui visait à calmer les ardeurs des Algériens, n’a jamais été rééditée, alors que la guerre à Gaza fait toujours rage et que les Algériens exigent, à travers les réseaux sociaux, qu’on leur permette d’organiser des marches de solidarité.

Il est vrai, qu’en Algérie, l’interdiction des manifestations de rue a été décrétée en juin 2021 par le gouvernement qui a conditionné leur autorisation à l’identification préalable des organisateurs, la présentation des slogans et contenus des banderoles, ainsi que les horaires et itinéraires des marches.

Dans un article publié mardi dernier sous le titre «L’Algérie, grande absente du soutien international à la Palestine», le site «orientxxi.info» écrit que si les Algériens n’ont jamais renié leur soutien à la Palestine, ils «sont désormais sans voix, mal représentés par un pouvoir frileux qui ne pèse plus sur la scène internationale».

Le refus de la junte algérienne d’autoriser des manifestations pour la Palestine s’explique doublement. D’une part, il s’agit de continuer à serrer, de façon draconienne, la vis des libertés d’expression de crainte d’un retour des marches pacifiques du hirak qui menacent la survie du régime des généraux.

D’autre part, «il s’agit de ne pas faire de vagues vis-à-vis des États-Unis, surtout que l’allié russe présumé n’a pas évité à l’Algérie la déconvenue du rejet de sa demande d’adhésion aux BRICS. L’échec a été d’autant plus ressenti par le pouvoir que l’adhésion, considérée comme acquise, a été présentée par les médias du régime comme la “confirmation” du grand retour de l’Algérie sur la scène internationale», écrit le site précité, avant d’ajouter que les Russes entretiennent également de très bonnes relations avec le Maroc, que l’Algérie considère comme son ennemi juré, et avec le Mali, qui a récemment rompu les attaches avec le régime algérien qu’il accuse –à raison– de tous les maux que vit le Sahel.

Le 1ᵉʳ février, l’Algérie, membre non permanent du Conseil de sécurité, a ainsi bricolé un projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, qu’elle a distribué aux représentants des autres pays membres. Mais dès que Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine aux Nations unies, a exprimé son rejet de discuter un tel projet de résolution, qualifié de contre-productif puisqu’il «pourrait compromettre les négociations en cours entre Israël et le Hamas pour une autre trêve à Gaza», le représentant algérien a immédiatement battu en retraite. Mais d’une pierre, il a voulu faire deux coups: montrer aux Algériens que son projet de résolution mort-né est un soutien aux Palestiniens, tout en se pliant en quatre devant les Américains en retirant ledit projet de résolution dont il savait qu’il n’a aucune chance de passer.

L’action diplomatique de l’Algérie, à l’international, est donc loin de refléter son prétendu engagement sans faille en faveur de la cause palestinienne. Le refus dictatorial, en interne, de laisser les Algériens manifester dans la rue en soutien aux Gazaouis tranche lamentablement avec ce qui se passe dans les autres capitales maghrébines, ainsi que dans de nombreuses grandes villes à travers les 5 continents, où des manifestations pro-palestiniennes sont régulièrement organisées depuis octobre dernier.

À quelques jours de la célébration de l’anniversaire du déclenchement, le 22 février 2019, du hirak populaire en Algérie, un constat s’impose. Toutes les conditions qui pourraient pousser les Algériens à réinvestir spontanément la rue pour dénoncer le pouvoir militaire qui les dirige depuis l’indépendance sont réunies. En effet, l’état général du pays est allé de pire en pis, dans un contexte délétère marqué, d’une part, par le marasme socio-économique matérialisé par la dégradation du pouvoir d’achat de l’écrasante majorité des Algériens, suite au renchérissement et à la rareté des produits de première nécessité (lait, semoule, légumineuses, œufs, viandes…) et, d’autre art, de l’étouffement des rares libertés publiques concédées durant l’ère d’Abdelaziz Bouteflika (1999-2019), alors que les partis politiques, les associations de la société civile et les médias critiques à l’égard du pouvoir sont interdits et leur personnel condamné à de lourdes peines de prison.

Cette peur d’un réveil du hirak est aussi derrière le silence imposé par le clan des généraux au président algérien Abdelmadjid Tebboune, contraint de ne pas annoncer son intention de briguer un second mandat, sachant qu’avant même de commencer son premier mandat, il a été vivement conspué par le hirak qui l’a toujours considéré comme un mal élu imposé par les généraux. Le slogan phare du deuxième acte du hirak demeure «Tebboune Lamzawer, jabbouh Laaskar» (Tebboune l’usurpateur a été imposé par les militaires).

Un autre sujet fait trembler le régime algérien. Il a pour nom Djamel Belmadi. Alors que la junte au pouvoir a décidé de rompre unilatéralement le contrat du sélectionneur des Fennecs, les Algériens, très nombreux sur les réseaux sociaux, appellent à sortir dans la rue pour le maintien de l’entraîneur Djamel Belmadi à son poste. Une date est avancée pour la manifestation pro-Belmadi: le 22 février. De quoi réveiller tous les démons qui font trembler le socle fragile du régime d’Alger.

D’ailleurs, ces appels à manifester seraient derrière le report sine die de la rencontre qui devait opposer le Mouloudia d’Alger et l’ES Ben Aknoun, initialement prévue vendredi 9 février. «La rencontre comptant pour la 16ème journée du championnat professionnel Mobilis, qui devait opposer l’ES Ben Aknoun (ESBA) au MC Alger (MCA) le vendredi 9 février 2024 a été reportée à une date ultérieure, et ce, suite à la demande de la wilaya d’Alger. Cette décision a été prise en accord avec les autorités compétentes dans le cadre des mesures préventives prises pour garantir la sécurité et le bon déroulement des rencontres sportives», indique un communiqué de la Ligue de football professionnel algérienne, diffusé mardi dernier.

Les stades font aussi peur au régime algérien. L’on verra comment ce dernier va affronter le retour inéluctable du hirak.

Par Mohammed Ould Boah
Le 08/02/2024 à 11h58