Comment la reconnaissance économique de la marocanité du Sahara par la France tétanise le régime algérien

Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger. En arrière plan, le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné et son homologue algérien Ahmed Attaf. (Walid Belfkih / Le360)

L’annonce par des ministres et officiels français du soutien, moral et financier, de Paris à des projets de développement menés par le Maroc dans ses provinces du Sud provoque l’ire du régime d’Alger. Ce prélude à une reconnaissance pleine et entière de la marocanité du Sahara fait peur à l’Est, où la panique est générale. Aux invectives s’ajoute la menace d’annulation de la déjà très improbable visite de Abdelmadjid Tebboune en France. Tétanisé, le régime algérien ne cherche même plus à se cacher derrière le Polisario, devenu invisible.

Le 11/04/2024 à 12h45

L’annonce a d’abord été faite par le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. C’était le lundi 26 février dernier, à Rabat, lors de son déplacement au Royaume, «pour ouvrir un nouveau chapitre dans la relation entre la France et le Maroc» avec comme marqueurs «amitié, sincérité, confiance».

Il s’agit de la volonté nouvelle et franche de la France d’accompagner les efforts de développement que mène le Maroc dans ses provinces du Sud.

Un pas de plus que franchit Paris sur la voie d’une reconnaissance pleine et entière de la marocanité du Sahara, après s’être figé depuis 2007 dans une posture, certes louable, mais insuffisante, d’appui à la proposition d’autonomie sous souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud.

Depuis, cette nouvelle décision a été appuyée par Franck Riester, ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité, de la Francophonie et des Français de l’étranger, qui a affirmé, le jeudi 4 avril à Casablanca, que l’Hexagone saluait «les efforts du Maroc en termes d’investissement dans le Sahara» et que son pays était prêt «à accompagner ces efforts».

Elle a surtout été étayée par du concret: l’apport qu’entend consentir Proparco, filiale dédiée au secteur privé du groupe Agence française de développement (AFD), véritable et puissant bras financier de la diplomatie française -qui, souvent, fait de l’ombre au Quai d’Orsay. Proparco devrait ainsi contribuer au financement d’une ligne haute tension entre Dakhla et Casablanca, un projet stratégique pour le Royaume.

Il n’en fallait pas plus pour soulever des montagnes d’indignation, de critiques et autres insultes à l’égard de la France de la part du voisin de l’Est qui, comme à son habitude, a mobilisé tous ses médias pour tirer à boulets rouges contre le président Emmanuel Macron et son gouvernement. La récente déclaration du chef de la diplomatie française n’a rien arrangé à l’affaire. Stéphane Séjourné s’est de nouveau exprimé, lundi 8 avril, sur la reconnaissance économique par la France de la marocanité du Sahara. Dans une interview accordée à France 24 et RFI, il a fait mieux que persister et signer: «Nous avons même été un peu au-delà, puisque nous allons même faire venir des opérateurs publics pour développer (le Sahara marocain, NDLR) avec eux (Les Marocains)», a-t-il souligné.

D’ailleurs, dès le lendemain, le chef de la diplomatie française recevait à Paris Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, pour une séance de travail.

Et le ballet diplomatique maroco-français ne fera bientôt que s’intensifier. Attendu le 21 avril 2024 à Rabat, le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin aura, lui, à discuter lutte antiterroriste, sécurité, immigration et islam de France avec ses interlocuteurs marocains. Avant lui, Rachida Dati, ministre française de la Culture, devra s’entretenir, toujours à Rabat, avec son homologue marocain Mehdi Bensaïd. L’occasion de renforcer davantage la lutte que mène le Maroc dans la préservation de son patrimoine immatériel, littéralement pillé, et dans tous ses aspects, par l’Algérie.

Également attendu au Maroc, le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau sera accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires des secteurs agricole et agro-industriel. Le Mouvement des entreprises de France (Medef, organisation patronale française) sera de cette mission d’affaires qui coïncide avec la tenue, du 22 au 28 avril, du Salon international de l’agriculture de Meknès (Siam).

Infarctus en perspective

Sans oublier la prochaine visite du ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, qui ira à la rencontre de plusieurs responsables politiques et économiques marocains, et participera à un forum d’affaires réunissant plusieurs grands patrons des deux pays. Comptez pas moins de 150 entreprises marocaines et autant côté français, dont pratiquement toutes les sociétés du CAC 40. Le tout en un mois, et en prévision d’une autre visite, celle du président Emmanuel Macron au Maroc. L’occasion, à n’en pas douter, de formaliser une annonce diplomatique majeure qui est du ressort exclusif des chefs des deux États, le président Macron et le roi Mohammed VI. Infarctus, au pluriel, en perspective chez le voisin de l’Est.

Ce sont là des décisions qui relèvent du bilatéral dans les relations de deux pays souverains. Pourtant, le régime d’Alger ne l’entend pas de cette oreille. Il perçoit l’évolution de la position de Paris sur le Sahara occidental et son rapprochement de Rabat comme des marques d’hostilité à son égard. En réaction, il a lâché sa meute médiatique contre les autorités françaises.

Fini donc les propos douçâtres sur une supposée accalmie dans les tensions franco-algériennes. Le ton est désormais à la menace et à l’invective, sports préférés du pouvoir algérien. Tous les titres et médias algériens y vont. Et franco. La salve a commencé dès le début de cette semaine, et elle ne tarit guère. La palme d’or en matière d’insalubrité revient à El Khabar, quotidien attitré des renseignements militaires, qui s’est surpassé en invoquant, pour expliquer ce qu’il qualifie déjà de «retournement»… le passé colonial de la France. Dans le changement en vue de sa position sur le Sahara, la nouvelle génération de dirigeants français s’inspirerait des pratiques de la vieille France, colonialiste et volontiers opprimante. Quant au pouvoir actuel de l’Hexagone, il ne serait au final qu’un savant mélange de sionistes et de nazillons, le deux-en-un, qui n’a que faire des accords et conventions. Allez comprendre.

Arlésienne

L’Est républicain va, lui, jusqu’à faire planer le doute sur la visite du président Tebboune en France, prévue au dernier trimestre de cette année. Sous le titre «Qui veut saboter la visite d’État du président algérien en France?», on y lit qu’«il est désormais clair et net que la fameuse visite d’État que devrait effectuer le président de la République, Abdelamdjid Tebboune, en France gêne terriblement certains milieux d’ici, mais surtout de là-bas. Il est tout de même curieux qu’à chaque fois que cette visite -devenue une Arlésienne- est relancée par une des parties concernées, un cheveu tombe comme par hasard dans la soupe algéro-française et provoque des nausées». Le cheveu en question n’est autre que la déclaration de Franck Riester. «Il n’est pas interdit de l’interpréter comme un premier pas vers la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental, comme l’ont fait avant eux les Espagnols, sous la houlette de Pedro Sanchez», s’effare le titre.

Echorouk parle de son côté d’une «bombe française posée sur la voie des relations avec l’Algérie», précisant que «l’escalade» de Paris sur le chemin de la reconnaissance de la marocanité du Sahara porte atteinte aux relations bilatérales entre les deux pays, la «cause sahraouie» étant «une question de sécurité intérieure pour l’Algérie». Le commentaire du journal a au moins le mérite de faire sienne une évidence dont le régime ne cesse pourtant de se cacher: l’Algérie est bel est bien «partie prenante» au différend. Le culot affiché n’a d’égal que la contradiction voulant qu’officiellement, l’Algérie ne soit pas «concernée» par le conflit et qu’elle soit uniquement comme «un voisin inquiet», qui n’a pour autant rien à faire dans le processus onusien des tables rondes, à même d’amorcer un début de solution au conflit artificiel.

Le Maroc a beau dénoncer le fait que c’est l’Algérie qui a créé le Polisario, qu’elle le finance, l’arme et l’héberge depuis; le Conseil de sécurité a eu beau la rappeler à ses responsabilités, la sommant de revenir à la table des négociations, Alger prend un malin plaisir à se dire du côté du «principe d’autodétermination». Si le leurre ne convainc plus personne, même les médias à la solde du pouvoir semblent l’oublier… pour finalement faire dans l’autodénonciation. Dans sa rage, Alger sort des bois et revendique, bien malgré elle, qu’elle est à la fois le protagoniste du dossier du Sahara occidental et le principal frein pour mettre un terme à ce conflit.

Il serait d’ailleurs intéressant de voir la réaction de l’Algérie lors de la séance de briefing à huis clos, pendant laquelle les États membres prendront acte des exposés de l’Envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, Staffan de Mistura, et du Représentant spécial pour le Sahara et Chef de la MINURSO, Alexander Ivanko. Le rendez-vous, prévu pour le mardi 16 avril, se tiendra pour la première fois en présence de l’Algérie, qui siège depuis janvier 2024 au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent.

Staffan de Mistura devrait y rendre compte de l’évolution du conflit et de la série de consultations qu’il a menées auprès de l’ensemble des acteurs concernés. L’enjeu de cette réunion est, justement, «de savoir comment amener toutes les parties à la table des négociations», souligne l’instance onusienne dans un communiqué.

On retiendra que, pour la troisième année consécutive, le Conseil de sécurité n’a eu cesse de sommer l’Algérie de participer au processus des tables rondes. Le dernier rappel en date est d’ailleurs formalisé dans sa résolution 2703, adoptée le 30 octobre 2023 avec 13 voix pour et deux abstentions. Tout est de savoir jusqu’à quand Alger pourra s’en dérober, alors que sa responsabilité dans le conflit régional est flagrante et que, de l’aveu même de ses porte-plume, le Sahara est pour la junte algérienne une «question de sécurité nationale».

Par Tarik Qattab
Le 11/04/2024 à 12h45