Affaire Inezgane: tollé général

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L’affaire de deux jeunes filles poursuivies pour "outrage public à la pudeur" à cause de leurs tenues jugées légères, continue de susciter une grande polémique et d’enflammer la Toile. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer une «régression» des Droits de l'Homme.

Le 26/06/2015 à 15h21

"Scandale : les Talibans font leur apparition à Inzegane", c’est ainsi que le journal arabophone Assabah a titré sur l’affaire des deux jeunes filles, dans son édition du 18 juin, la révélant au grand public. Les faits remontent à la veille de Ramadan. Deux jeunes femmes, faisant leurs courses à Inezgane près du souk hebdomadaire, se font soudainement traquer par la foule qui a protesté contre leurs tenues jugées légères. Elles ont comparu devant le tribunal qui a décidé de les poursuivre en état de liberté pour «outrage public à la pudeur ». Une première dans les annales d’Inzegane, estime un militant associatif dans cette ville.

Un mois à deux ans de prison et une amende allant de 120 à 500 dirhams, c’est ce que les deux jeunes filles risquent, conformément à l’article 483 du Code pénal, si elles plaident coupable lors de la première audience de leur procès prévu le 6 juillet au tribunal de première instance d' Inezgane.

"C’est horrible que la police, au lieu de protéger les deux victimes, les embarque en garde à vue pendant quarante-huit heures et leur colle, en plus, un procès ! Les victimes deviennent coupables. Cela ne présage rien de bon pour le Maroc", s'indigne Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes.

Plusieurs voix, différentes versionsLes militants de tous bords dénoncent en chœur un recul des droits individuels garantis par la constitution. Mais tous ne livrent pas tout à fait la même version des faits. «Il s’agissait de deux filles âgées de 15 et 19 ans normalement vêtues, étudiantes dans un centre d’esthétique qui sont sorties pour faire leurs courses lorsqu’elles se font encercler par une foule indignée par leurs tenues légères», nous confie Abdelaziz Sellami, président de la section de l’AMDH à Agadir, lorsque Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique pour les droits des femmes nous déclare: "Deux coiffeuses sortaient pour acheter du matériel de coiffure dans une boutique. Elles portaient des robes. Elles sont rentrées dans le magasin lorsque l’une d’elle se fait accoster par un homme qui l’a harcelée pour avoir son numéro. Face au refus de la jeune fille de le lui donner, l’homme sort et revient avec une foule qui s’est mis à traquer les deux jeunes femmes et à les brutaliser".

Bouchra Chetouani, membre de la section régionale de l’Association marocaine des droits de l’homme a, quant à elle, une autre version des faits : « Les deux jeunes filles sont étudiantes à l’université Ibn Zohr à Agadir. Elles étaient vêtues d’un t-shirt et d’un short. Elles sortaient pour faire des courses près du souk hebdomadaire lorsqu’elles se font encercler par la foule. Les vendeurs ambulants se mettent à leur lancer fruits et légumes sur la figure et tout le monde s’y met à son tour… jusqu’à ce que la police arrive et embarque les jeunes femmes».

Si les versions diffèrent d’une personne à l’autre, tous dénoncent une «transgression flagrante des droits de l’homme». Un fait qui aura profondément marqué les jeunes femmes. Fouzia Assouli, qui a gardé contact avec les victimes nous confie : «les filles vivent très mal la situation. Elles sont carrément anéanties. Elles n’osent même plus sortir de chez elle de peur de se faire agresser».

Les victimes peuvent en tout cas compter sur le soutien des activistes et des avocats, qui sont nombreux à vouloir assurer leur défense: «Nous ferons tout pour aider ces jeunes femmes», nous affirme Ali Ammar, avocat au barreau de Rabat. Par ailleurs, deux sit-in seront organisés, samedi 27 juin à 14h devant la wilaya d’Agadir, et mardi 30 juin, devant le tribunal de première instance de la ville. Une pétition en ligne a été lancée le 22 juin pour condamner cette atteinte aux libertés individuelles et aux droits de l’Homme. Elle s’adresse directement à Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés. En quatre jours, elle a récolté plus de 12.000 signatures.

Par Rania Laabid
Le 26/06/2015 à 15h21