Banques participatives. Pour Abderrahmane Lahlou, «il est temps de passer aux produits de participation aux profits et pertes»

Abderrahmane Lahlou, président de l’Académie de la finance participative.

EntretienLes banques participatives souffrent d’une faible part de marché, mais celle-ci n’est pas un indicateur pertinent, vu que ces banques ont une cible particulière, indique Abderrahmane Lahlou, président de l’Académie de la finance participative. L’expert note également que leur activité reste dominée par le financement immobilier, mais s’oriente de plus en plus vers d’autres créneaux. Ces banques sont également attendues sur le segment des produits de participation aux profits et aux pertes.

Le 28/04/2024 à 10h04

Dans cette entretien avec Le360, Abderrahmane Lahlou, président de l’Académie de la finance participative, indique qu’après 7 ans d’existence, les banques participatives, qui continuent à afficher de forts taux de croissance, sont encore loin de leur part méritée sur le marché, se contentant actuellement de 1,5% de l’activité bancaire globale.

Cependant, il estime que la part de marché n’est pas un indicateur pertinent, vu que ces banques ont une cible particulière, qui est toutefois en train de s’élargir de façon rapide. Et s’il confirme que l’activité des banques participatives reste dominée par le financement immobilier, il fait remarquer qu’elle s’oriente progressivement vers d’autres créneaux, notamment le financement du cycle de production des entreprises. Ces banques sont également attendues sur le segment des produits de participation aux profits et aux pertes, qui ne sont pas encore disponibles.

Le360 : Les banques participatives sont opérationnelles depuis 2017. Pensez-vous qu’elles ont atteint aujourd’hui leur rythme de croisière ?

Abderrahmane Lahlou: Il est difficile de parler de rythme de croisière après 7 ans d’existence, d’autant plus que les taux de croissance de l’activité des banques participatives sont encore très élevés. Alors que le secteur bancaire conventionnel réalise un taux de croissance de 3 à 6% selon les indicateurs du bilan, celui des banques participatives varie de 18 à 22%. Cette croissance va se stabiliser dans quelques années, mais les banques participatives sont encore loin d’avoir atteint leur part méritée sur le marché.

Quelle est l’estimation de la part de marché des banques participatives dans l’activité bancaire globale ?

Elle est encore faible, se situant à 1,5%, parce que le système bancaire conventionnel a quand même 60 ans d’âge et il est beaucoup plus développé. Les banques participatives offrent la majorité des produits que propose une banque conventionnelle. C’est déjà très bien. Mais, pour qu’elles se développent, elles ont besoin de se faire connaître davantage. Aujourd’hui, leur activité est concentrée en grande partie sur les particuliers. Elles font certes de plus en plus de corporate, mais ce n’est encore qu’un démarrage.

«La clientèle des banques participatives est en train de s’élargir de façon rapide, mais il faut encore attendre quelques années pour qu’elle devienne conséquente.»

—  Abderrahmane Lahlou, président de l’Académie de la finance participative.

Donc la part de marché n’est pas aujourd’hui un indicateur pertinent. Les banques participatives ont actuellement un objectif de confirmation de leur existence, de leur particularité et de leur capacité à répondre à un besoin spécifique, un besoin de niche. En fait, les produits participatifs restent des produits affinitaires, que l’on adopte pour des raisons religieuses ou de choix de mode de financement de sa consommation et de son activité économique. Cette cible particulière de personnes physiques et morales est en train de s’élargir de façon rapide, mais il faut encore attendre quelques années pour qu’elle devienne conséquente.

Quels sont les produits de la banque participative les plus demandés, et ceux qui le sont moins?

C’est principalement la «Mourabaha» qui est le produit le plus demandé. D’abord parce que c’est le format de financement qui ressemble le plus à celui que connaissent les gens depuis 70 ans, ensuite parce que le besoin le plus urgent chez les Marocains est de financer l’acquisition du logement. Un besoin auquel la «Mourabaha immobilière» répond très bien.

En revanche, le produit dit «Salam», qui est proposé par quelques banques seulement, a encore une part de marché faible. Ce produit spécifique à l’entreprise et qui sert à financer le cycle de production affiche toutefois une croissance très forte, avec une progression de 98% en février 2024 par rapport au même mois de l’année dernière, contre environ 20% pour la «Mourabaha».

De plus en plus d’entreprises, dont des promoteurs immobiliers, sont en train de faire appel aux banques participatives pour financer leurs activités économiques. Les banques participatives commencent à devenir un vrai levier de développement économique, au même titre que les banques conventionnelles, même si elles n’occupent encore qu’une situation de niche.

Y a-t-il des produits demandés par les clients, mais que les banques participatives ne proposent pas?

Certains produits ne sont pas encore disponibles. Il s’agit, par exemple, des virements à l’étranger. Dans la Charia (loi islamique), l’échange d’une monnaie contre une autre doit se faire «on the spot», c’est-à-dire instantanément, et non pas en trois jours ou une semaine, le temps que les accréditifs soient ouverts. Ce produit est, toutefois, marginal.

«Bien que leurs dépôts connaissent une forte augmentation, les banques participatives ont un effort à fournir sur ce plan.»

—  Abderrahmane Lahlou, président de l’Académie de la finance participative.

Mais, les produits qui sont vraiment attendus, ce sont les produits de participation aux profits et pertes, par lesquelles la banque a pratiquement un statut d’associé du client. Ce sera la seconde étape du développement des banques participatives.

Les banques participatives ont-elles des difficultés à se financer?

Une banque fonctionne surtout avec des dépôts. Il s’agit notamment de dépôts à vue pour les banques conventionnelles, et de dépôts à vue et de dépôts d’investissement, sous le contrat de «Moudaraba», pour les banques participatives.

Et à ce chapitre, les banques participatives ont un effort à fournir. Bien que leurs dépôts connaissent une très forte augmentation, autour des 30% sur une année, ils restent insuffisants pour satisfaire les appels à financement de la clientèle.

Pour résoudre ce problème de financement, les banques participatives ont recours à «Al Wakala Bil Istithmar», qui est un mandat donné par leurs banques mères, ou par une compagnie d’assurances, pour investir des fonds et partager une partie des revenus avec ces procureurs de ressources. Avec cela, elles arrivent à couvrir sans difficulté tous les besoins de financement de la clientèle.

Qu’en est-il de l’assurance «Takaful» et de son impact positif sur l’activité des banques participatives ?

L’assurance «Takaful», qui est opérationnelle depuis déjà deux ans, permet surtout de couvrir les risques liés aux actifs immobiliers achetés par Mourabaha à un coût compétitif. Mais, parallèlement, les sociétés «Takaful» l’ont élargie à une assurance bâtiment pour les biens d’une façon un peu plus large. Elles ont également commencé, bien que très timidement, à offrir une assurance pour les produits famille, créneau sur lequel elles sont appelées à être plus actives.

L’impact de l’assurance «Takaful» est très positif sur l’activité des banques participatives, car d’une part, les clients disposent d’une assurance conforme à la Charia et, de l’autre, les banques ont une couverture qui diminue les risques.

L’entrée en activité de cette assurance a contribué à booster les financements des appartements par «Mourabaha», dont l’encours a dépassé 28,7 milliards de dirhams à fin février 2024, dont 23,9 milliards pour l’immobilier, 1,5 milliard de dirhams pour l’automobile et 3,2 milliards de dirhams pour l’équipement.

Par Lahcen Oudoud
Le 28/04/2024 à 10h04